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Patrick Tudoret: “La bénévolence: un mini “Big bang” intérieur...”

Marie Torres - 30 mars 2019

 

Dans son très beau "Petit traité de bénévolence", Patrick Tudoret fait un plaidoyer pour un “Big bang” intérieur, la mise en œuvre de la bénévolence, un élan vers l’autre qui souhaite contribuer à sa propre réalisation, à son accomplissement. Un essai vibrant... bénévolent, et qui fait du bien.

 

Patrick Tudoret

 

 

Micmag.net: Qu'est-ce que la bénévolence?

Patrick Tudoret*: La bénévolence est une des formes anciennes, avérées de l’amour, l’amor benevolentiae des Latins et des pères de l’Eglise. On la trouve ensuite chez Thomas d’Aquin, Descartes, La Ramée etc. Bienveillance en est la traduction moderne exacte, mais n’en reflète plus désormais la force tant ce mot – aujourd’hui accaparé par certaines théories managériales - a été spolié de son sens initial, bene volens, qui exprime la volonté, l’élan. C’est pourquoi j’ai décidé d’exhumer bénévolence, ce mot magnifique qui peut résonner dans l’esprit de tous. Comme l’a écrit Victor Hugo à la fin de sa vie, “Aimer, c’est agir.”

M. : Ce "Petit traité de bénévolence" arrive à point : 64 % des Français pensent que nous pourrions prendre le chemin d’une société dominée par la haine **, violences lors des manifestations des Gilets jaunes, antisémitisme à visage découvert, mise à jour de la ligue du LOL, agressions en hausse contre les femmes, les LGBT, les Roms, les policiers, les journalistes…

P. T. : N’en déplaise aux “déclinistes”, notre époque n’a pas le monopole de la violence et de la barbarie. Le croire serait bien naïf et témoignerait d’une belle ignorance de l’Histoire. Néanmoins, comme les autres époques, elle se nourrit de violence, de haine. Ce n’est pas tant d’ailleurs qu’elles soient plus virulentes qu’auparavant, ces haines, mais elles bénéficient de ces chambre d’écho sans précédent que sont les médias de masse et les réseaux dits sociaux où s’épanouit parfois, voire souvent, le pire. Alors oui, ce constat que je fais m’amène à plaider pour une sorte de mini “Big bang” intérieur qui nous ouvrirait davantage à l’autre, cet autre si indispensable dans un Occident lourdement asservi au matérialisme et où règne un inquiétant trop plein de vide... Précisons que je suis tout sauf angéliste - le livre le montre - et que la bénévolence n’a rien à voir avec les “bons sentiments”, elle est simplement une des formes de l’amour les plus accessibles à tous.

M. : "80% des Français disent que quand on croise quelqu’un qu’on ne connaît pas, on n’est jamais trop prudent à son égard". Pourquoi a-t-on besoin d'avoir des “ennemis”, de s'imaginer des “figures du mal” , Est-ce par manque de considération des autres ?

P.T. : La considération, si bien analysée par la philosophe Corine Pelluchon dans son dernier livre (Ethique de la considération, Seuil) est un pas déjà considérable vers la bénévolence et l’on en manque souvent dans ce monde trop souvent désincarné. La peur de l’autre est là, attisée par les éternels démagogues. Je suis bien conscient des dangers qui menacent nos démocratie et en parle dans le livre, mais, comme l’écrivait Anne Dufourmantelle, « La vie tout entière est risque. Vivre sans prendre de risque n’est pas vraiment vivre. C’est être à demi-vivant, sous anesthésie spirituelle.”

M. : “La haine doit être vaincue par l'amour et la générosité” a dit Spinoza. Aujourd'hui, peut-on dire que la haine et tous les discours violents peuvent être vaincus par la bénévolence ?

P. T. : Face au chaos du monde, l’homme dispose de trois armes de construction massive : l’amour, l’art, le sacré et la bénévolence a à voir avec les trois. Il faut être convaincu, comme Spinoza, que la force de l’amour, de ce qui construit, est supérieure à celles qui détruisent. Beaucoup d’êtres en ce monde, croyants ou incroyants se vouent magnifiquement à faire le bien. Œuvrer, déjà, en vue du bien commun, de cette common decency dont parlait Orwell, c’est de la bénévolence. “Le chemin le plus court de soi à soi passe par l’autre”, disait Ricoeur, grand penseur de l’altérité. Comment être à ce point englué dans l’individualisme ou le narcissisme pour évacuer l’autre de son champ visuel ? Quand Robinson Crusoé est sur son île déserte, il s’en sort plutôt bien, il mange à sa faim, il boit de l’eau pure, il construit un fortin confortable, mais au fond il n’est qu’en mode survie. Il faut attendre Vendredi pour que la vie reprenne vraiment ses droits. Avec lui, figure absolue de l’autre, ce qui arrive, c’est le surgissement de la vie sur une île morte…

 

* Docteur en science politique, Patrick Tudoret est l’auteur d’une quinzaine de livres et de pièces de théâtre.